- Extrait de l'homélie de Jean Paul II mardi 7
octobre 1986 à Annecy -
Docteur de l’amour, saint François de Sales a sans cesse
mis en valeur la source vive de l’Alliance de Dieu avec les hommes: Dieu nous
aime, Dieu nous accompagne, à chaque étape de la vie, d’un amour patient et
fidèle; Dieu met en nous son désir de ce qui est bon, un attrait vers ce qui
est beau et vrai. Dans sa Providence, Dieu nous donne la vie pour être à son
image et à sa ressemblance. Et Dieu nous appelle à partager toujours ce qui
fait la grandeur de sa propre vie, l’amour parfait. Il nous accorde la liberté
intérieure, il nous rend capables de goûter la certitude d’être aimés et de
prendre la résolution ferme de répondre à cet amour.
Frères et Sœurs, ce grand évêque connaissait aussi la
faiblesse de l’homme, sa difficulté à répondre dans une foi constante au
message d’amour de l’Alliance. Il savait que nous cherchons souvent la force
d’aimer plus en nous-mêmes que dans un accueil généreux du don de Dieu. C’est
pourquoi François de Sales était inlassable pour montrer à ses frères la
patience et la tendresse de Dieu prêt à pardonner, à sauver. Il ne cesse de
transmettre la Bonne Nouvelle de l’Annonciation: le Fils du Très-Haut, né de
Marie, vient s’unir à l’humanité. Dans un monde égaré, la présence de Jésus
rouvre la “blessure de l’amour”, guérit les cœurs désemparés, offre une
Alliance de pardon et de renouveau. Dans son infinie sainteté, Jésus nous
attire sur la voie de la sainteté.
Comme le Sage de l’Ecriture, François de Sales sait qu’être
“attentif à la Parole” fait trouver le bonheur, que donner sa confiance au
Seigneur nous rend bienheureux (cf. Pr 16, 20). Lui-même est si pénétré
de la Sainte Ecriture qu’elle “est plus que la règle de ses pensées, elle en
est devenue la substance” (Cardinal Pie). Il conduira ses frères à méditer la
vie de Jésus, à demeurer près du Seigneur: ainsi, nous dit-il, “nous apprenons,
avec sa grâce, à parler, à agir, à vouloir comme lui” (Introduction à la vie
dévote, II, 1). Il nous invite à bien prononcer le saint nom de Jésus en
donnant à l’invocation toute sa force: “Il faut que ce soit par le seul amour
divin qui, sans autre, exprime Jésus dans notre vie en l’imprimant dans notre
cœur” (Lettre CDXXVIII).
Revenant sans cesse à l’amour de Dieu vécu grâce au Christ,
François de Sales rejoint la grande Tradition qu’exprimait saint Augustin:
“Pour nous, vivre c’est aimer - vita nostra dilectio est” (Enarr. in Ps. 54,
7). Lui-même écrit: “Tout est à l’amour, en l’amour, pour l’amour et d’amour en
la Sainte Eglise” (Oeuvres, IV, p. 4), grand serviteur de l’Eglise, il a
toujours agi dans cet esprit.
Prêtre, puis évêque de ce diocèse il vécut à une époque où
il fallait retrouver un élan nouveau. Il contribuera vigoureusement à mettre en
œuvre les réformes du Concile de Trente conclu peu avant sa naissance. A cet
égard, nous pouvons mettre à profit son exemple, vingt ans après le Concile
Vatican II, même si les circonstances sont très différentes: ses réformes
n’obtiendront leur effet que si elles s’accompagnent d’un profond renouveau
spirituel.
François de Sales aima le peuple dont il était le pasteur.
Pour le conduire sur les voies de l’Evangile, il s’était entièrement donné, au
point de se laisser absorber à tout moment, dans sa vie ou au cours de ses
visites dans les paroisses. Les prêtres trouvaient auprès de lui un accueil
fraternel et il les entraînait dans la générosité apostolique que lui-même
exerçait jusqu’à la limite de ses forces. Il tenait à célébrer la Messe avec
son peuple et à prêcher fréquemment la Parole de Dieu. Il faisait volontiers la
catéchèse aux enfants. Il manifestait une patiente charité pour guider ceux qui
lui demandaient conseil et aussi pour secourir les pauvres, vivant lui-même
pauvrement. Nous avons entendu dans la lecture des Proverbes un verset qu’il a
mis en pratique : “Mieux vaut être humble avec les pauvres qu’avec les superbes
partager le butin”. Il se rendait disponible à qui lui demandait de l’entendre
en confession, tant il estimait les bienfaits du sacrement de la miséricorde.
Comme le dit le Psaume (33, 19): “Il est proche du cœur brisé ; il sauve
l’esprit abattu”.
Dans son action pastorale, François de Sales avait un sens
aigu de la mission qui incombe à chaque évêque. Il savait que dans cette
mission, le service de l’unité est une priorité. Il a eu à l’accomplir alors
qu’une grave déchirure venait de se produire parmi les chrétiens de sa région.
Dans le climat qui régnait alors, il l’a fait avec toute sa foi, tout son
amour, toute sa générosité. Puisse le Seigneur inspirer aujourd’hui notre
dialogue de frères encore séparés! Puise-t-il affermir en nous une commune
volonté de réconciliation dans la vérité et la charité, afin que nous
retrouvions bientôt l’unité tant désirée !
En François de Sales, nous admirons l’homme d’Eglise
pénétré de l’amour divin. On peut dire qu’il est un véritable sage, réalisant
ce que disent les Proverbes (16, 21-22) : “Un cœur sage est proclamé
intelligent, la douceur des lèvres augmente le savoir. Le bon sens est source
de vie . . .”.
Oui, ce mystique puisait journellement dans l’intimité avec
le Seigneur une étonnante capacité d’entraîner ses frères vers la vie parfaite,
en sachant comprendre les personnes les plus diverses. Son influence tient
largement à ce que chacun se sentait respecté dans sa situation particulière.
Il proposait toute l’exigence évangélique, il en montrait l’accès aux hommes et
aux femmes, aux laïcs et aux religieux, aux jeunes et aux anciens, aux époux et
aux célibataires, aux riches et aux pauvres, aux lettrés et aux ignorants, aux
princes et aux paysans, aux soldats et aux commerçants. A tous il révélait
l’accord profond de la liberté intérieure avec la volonté de Dieu. A chacun il
adressait l’appel à la sainteté selon sa condition et ses dispositions. Ce sage
qui se disait “tant homme que rien plus” (Lettre CDXVIII) était si près de
ses frères qu’il savait partager avec tous la sagesse même de Dieu.
Doué d’un grand discernement dans les rencontres
individuelles, François de Sales est entré aussi dans les affaires et les
débats de son temps, avec une modération qui suscitait la confiance. Il a
mérité d’être appelé le “conciliateur”. Impliqué dans les discussions
théologiques ou les conflits de la cité, il avait entendu l’appel du Psaume
(33, 15) : “Poursuis la paix, recherche-la”, ou cette maxime des Proverbes (16,
32) “Mieux vaut . . . un homme maître de soi qu’un preneur de villes”.
Parmi les saints qui ont porté le message évangélique à
leurs contemporains de tant de manières, François de Sales fait partie de ceux
qui ont su trouver un langage merveilleusement adapté. Nous dirions aujourd’hui
qu’il était homme de communication. Dans ses lettres et dans ses livres, il
retient l’attention par un style où transparaît son expérience spirituelle en
même temps que sa profonde connaissance des hommes. Patron des journalistes, de
ceux qui ont mission d’écrire, puise-t-il inspirer leur travail dans une
connaissance lucide de ceux à qui ils s’adressent, dans le respect fraternel de
ceux avec qui ils partagent la vérité !