«Ce sont des temps d'effroi, mon Dieu. Cette nuit pour la première
fois, je suis restée éveillée dans le noir, les yeux brûlants, des images de
souffrance humaine défilant sans arrêt devant moi.
Je vais te
promettre une chose, mon Dieu, oh, une broutille : je vais t'aider, mon Dieu, à
ne pas t'éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d'avance.
Une chose
cependant m'apparaît de plus en plus claire : ce n'est pas toi qui peux nous
aider, mais nous qui pouvons t'aider - et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes.
C'est tout ce qu'il nous est possible de sauver en cette époque et c'est aussi
la seule chose qui compte un peu de toi en nous, mon Dieu.
Peut-être
pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés
des autres. Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une
situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t'en demande pas compte,
c'est à toi au contraire de nous appeler à rendre des comptes, un jour.
Il m'apparaît de
plus en plus clairement que tu ne peux pas nous aider, mais que c'est à nous de
t'aider et de défendre jusqu'au bout la demeure qui t'abrite en nous.
On n'est jamais
sous les griffes de personne tant qu'on est dans tes bras.»
[Etty Hillesum (1914-1943) est cette jeune femme, juive d'Amsterdam, morte à Auschwitz à l'âge de vingt-neuf ans et ayant tenu un journal de ses dernières années]